Doit-on s’inquiéter pour la liberté de la presse sur le Vieux continent ? Du droit européen à la régulation d’Internet, en passant par l’harmonisation du statut de journaliste et de sa déontologie à l’échelle européenne, les axes de réflexion ne manquaient pas en cette journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai 2014, lors de la conférence plénière du Congrès de l’UCP2F (Union des Clubs de la Presse de France et de Francophonie) à Liège (Belgique). Animée par Éric Maurice, Courrier International, la conférence a permis de confronter différents points de vue et d’aborder différents angles de la question. 4 membres du Club de la presse 26 07 assistaient aux débats.
En France comme à l’échelle européenne, le besoin d’information est de plus en plus prégnant : Antoine Héry, chercheur Europe à Reporters Sans Frontières, indique que 40% des Français s’informent une fois par jour et 50% plusieurs fois par jour. Il précise aussi que 82 % veulent avoir l’information en temps réel, et que 72% partagent l’information obtenue sur les réseaux sociaux.
Des chiffres qui devraient faire briller les yeux des journalistes… mais c’est sans compter sur ceux de la liberté d’information en Europe, dont la performance est « en déclin constant depuis 12 ans » d’après une étude publiée par RSF et plaçant la France à la 39e place, la Grèce à la 99e place et la Bulgarie à la 100e place sur les 180 pays analysés (le premier rang étant attribué à la Finlande et le dernier, à l’Erythrée).
Parmi les raisons de ce déclin et de l’affaiblissement de la profession, Antoine Héry évoque la tendance des journalistes à l’autocensure, la pression économique, l’ingérence dans les contenus éditoriaux et les difficultés rencontrées dans l’affrontement des pouvoirs externes (économique, politique, religieux) comme internes (annonceurs, hiérarchie…).
Cette situation, observable partout en Europe, est particulièrement marquée en Bulgarie, où les médias ont été récupérés par les grands groupes économiques, et en Grèce où « la liberté de la presse a toujours été une vaste fumisterie » si l’on en croit Angélique Kouronis, correspondante de Radio France à Athènes.
Virulente, celle-ci se demande comment exercer le métier de journaliste, en tant qu’auxiliaire de la démocratie, dès lors qu’on travaille dans un pays où il n’y a pas de séparation des pouvoirs. En Grèce, où « la démocratie est branlante », les salaires, « trop bas », et où le gouvernement opère « à coups de décrets » et en « cassant les grèves », « Voyou, rufian, journaliste » est un slogan bien connu de la population.
Et Fabrice Pozzoli-Montenay, Vice-président de l’Association des journalistes européens, de renchérir : « La presse n’est plus un 4e pouvoir aujourd’hui » dans la mesure où les conditions de travail et la liberté d’information sont altérées. Selon lui, « les journalistes n’ont jamais été aussi faibles » : il n’y a désormais plus de budget pour les reportages et l’investigation, les agences de communication et de lobbying maîtrisent mieux l’information que les journalistes eux-mêmes étant donnés des moyens humains et financiers plus élevés, et de nombreuses situations de monopole sont préoccupantes dans la presse nationale et régionale française.
Par ailleurs, l’information est orientée en fonction des intérêts présupposés du grand public : Marie-Laure Augry, Présidente de l’Association des Médiateurs de France Télévision, indique que 2,3 % seulement du temps d’antenne sont consacrés à l’Europe, sujet qui n’intéresserait pas a priori la population. Un parti pris dont on peut douter, notamment à l’approche des élections européennes.
Face à la suprématie des intérêts économiques, aux violences dont font preuve certains Etats à l’encontre de la presse et à l’activisme des communicants et des blogueurs, comment protéger les journalistes et faciliter leur travail d’investigation ?
De manière assez contradictoire, redonner son rôle de contre-pouvoir à la presse paraît difficile aujourd’hui sans faire intervenir l’un des trois premiers pouvoirs. Ainsi Marc Tarabella, député européen belge, insiste sur le pouvoir du Parlement, qui peut notamment prendre des résolutions en matière de concentration médiatique. Pour lui, les élus devraient faire fi de toute appartenance politique et agir en cas de dérive de la démocratie. L’Union européenne doit « renforcer les libertés au lieu de les enfreindre ».
Si elle est utile, l’action des élus n’est pas la seule condition nécessaire pour favoriser la liberté de l’information. Sur ce point, les intervenants sont unanimes : c’est aux journalistes de recréer du lien avec le grand public, de « se recréditer » aux yeux de la population.
Pour y arriver, encore faut-il être dans de bonnes conditions de travail. Ainsi, harmoniser le statut du journaliste à l’échelle européenne voire au-delà permettrait déjà d’éviter les dérives (ex : les cartes de presse dont disposent certains directeurs de Cabinet et Ministres).
De même, la question de la protection des sources reste centrale : à ce titre, la Belgique est exemplaire dans le sens où elle n’a pas de dispositif de lever de la protection des sources en cas d’atteinte aux intérêts de la justice ou à la sécurité nationale.
Les journalistes ont donc encore à faire pour regagner la confiance de leur public. Mais c’est par leur travail d’investigation et leur esprit critique qu’ils pourront retrouver leur place de contre-pouvoir et renforcer ainsi la démocratie.
Emilie GAY
Les membres du Club de la presse 26 07 qui ont suivi le congrès de Liège : Emilie Gay, Vincent Estassy, Sébastien Sylvestre et Hélène Margaron avec Karl Sivatte à l’intérieur du palais des Princes-Evêques de Liège lors de la réception officielle avec les autorités locales.